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(Chose vue) L’homme et l’enfant la nuit. L’homme au pied du lit de l’enfant. L’enfant en larmes, les deux mains agrippées aux draps. Les phalanges de chacun de ses doigts blanchies de trop serrer le tissu. Je suis là dit l’homme. L’enfant ouvre et cligne ses yeux embués de larmes. L’enfant embrasse du regard l’espace de la chambre et se réveille et se souvient qu’elle est chez l’homme et pas chez la femme. L’enfant se réveille et ses doigts délaissent les draps. L’enfant et ses bras enlacent le cou de l’homme. Le visage blotti dans la nuque de l’homme. Les bras de l’enfant serrent trop fort le cou de l’homme. Je suis là, répète l’homme. L’enfant ne dit rien mais relâche un peu son étreinte. L’homme caresse le front de l’enfant puis ses cheveux épars sur l’oreiller. Je suis là, assure l’homme encore une fois. L’homme sent les larmes de l’enfant couler de sa nuque vers son omoplate. Tout va bien, ment l’homme. L’enfant se calme, l’enfant raconte son cauchemar puis cache ses bras sous la couette. Non, je ne dors pas avec toi. Dit l’homme. L’homme rassure l’enfant : la lampe restera allumée tout la nuit. La lampe chassera les monstres. La lampe chassera tous les cauchemars. La lampe allumée permettra à l’enfant de dormir. Tu verras, tout ira bien. L’enfant assoupi, l’homme quitte la pièce et fume une cigarette à la fenêtre de la cuisine. L’homme ne fait pas de bruit. L’homme se souvient de ses cauchemars. L’homme se souvient que personne ne le rassurait quand il était un enfant.

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(Chose vue) L’homme et l’enfant se lèvent à la demande de l’enfant. L’homme aimerait bien rester quelques minutes de plus. L’homme aime regarder les génériques des films. L’homme aime regarder les films jusqu’à ce que l’écran du cinéma soit noir tout à fait et la lumière revenue. L’enfant, non. L’enfant regarde autour d’elle. L’enfant constate que tout le monde est parti. Hormis l’homme, l’enfant, l’employé préposé aux déchets que l’homme ne regarde pas ramasser les seaux de pop-corn et autres emballages de friandises diverses ; tous sont partis. L’homme parvenait à ne pas acheter à l’enfant des friandises ou du pop-corn. L’homme masquait avec son corps le présentoir à friandises quand l’homme et l’enfant entraient dans le cinéma tout à l’heure. Tu viens, questionne l’enfant. Il faut partir. Tout le monde est parti. L’enfant n’est pas rassurée d’être ici dans cette salle désertée, seule avec l’homme. L’enfant ne fait pas tout à fait confiance à l’homme. L’enfant ne sait pas très bien qui est cet homme. L’homme aimerait mieux connaître l’enfant. L’homme voit l’enfant mal à l’aise et ne sait pas comment lui dire de rester jusqu’à la toute fin du générique. L’enfant se moque bien du générique. Mais une glace, oui. L’enfant sait lire depuis quelques mois mais les mots défilent trop vite de toute façon. L’homme se lève. L’homme prend la main de l’enfant dans sa main droite, le rehausseur de siège de l’autre. Tous les deux se dirigent vers la sortie. Viens, on va manger une glace.

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(Chose vue) L’homme et l’enfant à l’entrée du cinéma. L’homme tient la main de l’enfant. L’homme et l’enfant marchent le trottoir entre la voie réservée aux cyclistes et celle aux véhicules motorisés. L’homme est prudent. L’homme patiente jusque la voie totalement piétonne. L’homme lâche la main de l’enfant ; elle s’énervait dans la sienne. L’homme lâche la main de l’enfant mais met l’enfant en garde contre la proximité du canal. L’enfant ne doit pas s’approcher du bord. L’homme ne veut pas que l’enfant ne tombe dans le canal. L’enfant s’ébroue et fait quelques pas dans un sens ; dans l’autre. L’homme et l’enfant vont au cinéma. L’homme prend sa place dans la file et regarde l’enfant qui file loin, reviens. L’homme dit à l’enfant de ne pas s’approcher du bord. L’enfant dit à l’homme qu’elle sait. L’enfant sait le bord de l’eau dangereux ; surtout l’enfant s’ennuie. L’homme a dit que l’enfant irait au cinéma et l’enfant n’est pas dans le cinéma, assis sur un siège à regarder les images. L’homme a menti. L’homme n’a pas menti. L’homme fait la queue à la caisse pour acheter les tickets qui permettront à l’enfant et à l’homme d’entrer dans la salle du cinéma. L’enfant regarde l’homme et trouve que tout cela ne va pas assez vite. L’homme n’avance pas assez vite dans la file et l’enfant court encore, heurte un pavé, manque de tomber, met tous ses bras en avant afin de prévenir la chute et retrouve l’équilibre. Viens, dit l’homme, il faut rentrer dans la salle du cinéma maintenant.

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(Chose vue) L’homme et l’enfant dans une même pièce. Cuisine. L’homme dispose sur la table une double page d’un journal, des pommes de terre qu’il essaie d’éplucher. L’enfant repousse le journal et déploie ses cahiers. Cahier de lecture. Cahier d’écriture. Cahier de mathématiques. L’enfant sait lire. L’homme sait manier l’économe. L’enfant lit. « Une petite souris se promène dans un bois très sombre. Un renard l’aperçoit de son terrier et la trouve bien appétissante ». L’homme épluche. Il débite, métronome, la pomme de terre dont la pelure s’écrase sur la double page du journal. L’homme écoute l’enfant. L’enfant lit. L’enfant ne regarde pas l’homme qui épluche. L’enfant n’est pas un homme. L’enfant ne sait pas ânonner les syllabes qui forment des mots puis des phrases, et s’arracher du cahier. Regarder l’homme qui écoute ce que dit l’enfant. S’assurer que l’homme écoute les mots de l’enfant. L’homme sait éplucher des pommes de terre et regarder l’enfant qui lit. L’enfant lit. S’arrête. C’est quoi vaillant. L’homme ne dit pas : qui, face au danger, fait preuve de bravoure, de courage. L’homme dit : vaillant c’est comme courageux. L’enfant acquiesce. L’enfant connaît le mot courageux. L’homme doute. L’homme ne sait pas si dire que vaillant c’est courageux est la bonne réponse. L’homme se demande si dire que vaillant c’est comme courageux est la bonne réponse. Si l’enfant demande pourquoi vaillant c’est comme courageux alors pourquoi existent les deux mots. L’homme ne sait pas.

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(Chose vue) L’homme et l’enfant traversent la grande place. Ils la contournent, traversent de nombreuses rues qui forment une étoile un petit peu bizarre avec ces onze branches dont deux presque parallèles sont gardées par deux grandes statues aux socles blancs interminables desquels émergent deux personnages rudes aux visages difficilement discernables, durs. L’homme tire l’enfant qui rechigne à s’aventurer sur la chaussée parce qu’aucun feu de signalisation n’indique si c’est le tour des piétons ou celui des véhicules. L’homme semble sûr de lui, sa main ferme tire l’enfant et son regard efficace alterne les coups d’œil à droite à gauche. L’enfant regarde son cou et sa tête se mouvoir par à-coups, la violence et la rapidité d’un oiseau en quête d’une proie, un peu comme le font les pigeons qui jonchent les trottoirs de la ville. L’enfant s’imagine que l’homme est un rapace. L’enfant a un peu plus peur que d’habitude de l’homme qui la tire plus fort vers lui. L’homme l’invective. L’homme dit que l’enfant sera en retard à ce cours de danse auquel elle ne veut pas se rendre. L’enfant n’aime pas danser. Pas avec les autres. C’est une lubie de l’homme que de faire danser l’enfant. L’enfant ne sait pas formuler cela. L’enfant ne sait pas dire à l’homme qu’elle aime danser seule dans la chambre qui n’est pas la sienne mais qu’elle occupe chez l’homme mais qu’elle ne veut ni danser face aux autres enfants ni face à la femme qui donne les cours de danse, et les mouvements à répéter.

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(Chose vue) L’homme et l’enfant dans les couloirs. Une fois la rame quittée et en sécurité sur le quai, l’enfant lâche la main de l’homme et zigzague dans le couloir. L’enfant respecte les règles, reste près du mur à l’opposé du quai. L’enfant mesure la distance qui la sépare de l’homme. L’enfant sait qu’elle doit attendre l’homme dans le virage. L’homme insiste pour qu’elle reste dans son champ de vision. L’homme veut voir l’enfant déambuler dans le souterrain surchargé de publicités dont certaines sont augmentées de messages contreproductifs. Après le virage, l’enfant croise une autre enfant et le temps de quelques secondes les deux sympathisent et font-elles quelques pas ensemble. Les deux enfants crient dans les couloirs et ni l’homme ni la femme qui accompagne l’autre enfant ne répriment l’une ou l’autre. Les enfants sont des enfants et crient dans les souterrains du métro. À l’intersection de deux couloirs c’est une drôle de danse que l’enfant et l’enfant perturbent : traverser la foule se glisser dans les creux et éviter autrui et poursuivre son chemin. L’enfant et l’enfant s’invectivent. Je suis une princesse. Nous sommes deux princesses. L’enfant et l’enfant se figent le temps que passe cette femme dont l’homme ne voit que le dos. Une silhouette. Jeune ou vieille, belle ou non, l’homme ne sait pas. L’homme ne voit qu’une forme masquée par un fichu blanc et pressée de quitter les couloirs du métropolitain. Tu as vu ? Une mariée ! Une mariée ! Dit l’enfant à l’enfant.