9#

(Chose vue) L’homme et l’enfant à quelques mètres l’un de l’autre. L’enfant devant, l’homme derrière. L’enfant zigzague dans l’allée, évite les sportifs matutinaux qui courent l’air très sérieux. L’enfant court sans sérieux et se retourne de temps à autre. L’enfant ne sait pas s’il faudrait semer l’homme ou bien s’assurer de sa présence. L’homme marche droit, son téléphone dans la main collée à son oreille et les yeux rivés vers l’enfant. L’enfant n’entend pas ce que l’homme dit à la femme. Parfois la voix de l’homme se fait plus forte, c’est parce qu’il intime à l’enfant de ne pas. Ou de. Parfois la voix de l’homme se fait plus douce, l’homme parle à la femme et regarde l’enfant. L’homme et l’enfant se promènent dans le parc des Buttes-Chaumont. L’homme dirige l’enfant. L’homme dit à l’enfant d’aller par là. L’homme ne veut pas que l’enfant se trouve face au petit manège. L’homme ne veut pas payer un tour de manège à l’enfant. L’homme trouve qu’il fait trop froid ce matin pour rester statique devant le manège et, à chaque tour, faire un signe de la main à l’enfant agrippée et ravie. L’homme et l’enfant, ils savent tous les deux que c’est aussi de ce côté que se trouvent les poneys. L’homme veut aussi éviter les poneys. L’enfant voudrait bien faire un tour de manège et monter sur un poney. L’enfant n’est jamais monté sur un poney. L’homme ne veut pas laisser l’enfant chevaucher ni les poneys ni les chevaux de bois du manège. L’homme parle dans le téléphone, voudrait rentrer.

8#

(Chose vue) L’homme est réveillé par l’enfant. L’enfant geint et appelle la femme mais c’est l’homme qui se lève et pousse la porte de la chambre de l’enfant. L’enfant ne reconnaît pas l’homme et pleure un peu plus fort. L’homme allume une veilleuse et s’approche doucement du lit de l’enfant. L’homme s’accroupit. Je suis là dit l’homme à l’enfant en pleurs dans son lit en ruines. L’enfant est en sueur et les couvertures toutes retournées et humides de la transpiration fiévreuse de l’enfant. L’enfant appelle. L’enfant réclame la femme mais c’est l’homme qui est là. L’homme dit. Je suis là. L’enfant dit. Où est la femme. L’homme répète. Je suis là. L’homme s’assied sur le bord du lit de l’enfant. L’homme caresse doucement la tête enfiévrée de l’enfant épuisée. L’enfant tousse, flegmatique. L’enfant est d’humeur crasseuse et bougonne encore. La femme. Où est la femme. L’homme prend l’enfant dans ses bras et la berce doucement. L’enfant fait mine de se débattre avant de caler sa tête dans le creux du bras de l’homme dont elle aime l’odeur. L’homme susurre une comptine à l’oreille de l’enfant qui se détend lentement. L’homme ne sait pas quoi faire et dépose doucement la tête de l’enfant sur l’oreiller. Je reviens, dit l’homme à l’enfant. Je vais chercher quelque chose. Soigner l’enfant. L’homme quitte la chambre de l’enfant pour la salle de bains où sont stockées, désordonnées, des boîtes de médicaments. Un sirop épais devrait apaiser l’enfant. L’homme aimerait bien que la femme.

7#

(Chose vue) L’homme et l’enfant la nuit. L’homme dort dans une chambre et l’enfant dans l’autre. L’enfant ne dort pas. L’enfant se réveille trempée de sueurs et de larmes mélangées et geint. L’enfant dans le noir appelle la femme. L’enfant n’aime pas le noir. L’enfant n’aime pas quand l’homme ferme la porte après que l’enfant s’est endormie. L’enfant pleure et l’homme se réveille, entend l’enfant pleurer dans la chambre à côté. L’homme aimerait dormir. Mais l’enfant appelle la femme et l’homme se vêt, ouvre la porte de la chambre et chuchote quelques mots à l’enfant. L’homme demande à l’enfant qui réclame la femme ce qu’il se passe. La femme ne viendra pas dit l’homme. L’homme dit à l’enfant qu’il est là, lui. L’homme rappelle à l’enfant que l’homme et l’enfant sont ensemble maintenant. L’homme dit qu’il ne sait pas quand la femme viendra. L’homme ne sait pas quand l’enfant verra la femme. Bientôt, surement. L’homme s’assoie sur le lit, près de l’enfant dont il caresse les cheveux. L’homme n’est pas habile. L’homme ne sait pas consoler l’enfant. L’homme susurre encore quelques mots à l’enfant et lui commande doucement de se rendormir. L’homme promet qu’il laissera la porte entr’ouverte, il laissera la lampe allumée dans le couloir. L’enfant cesse de pleurer. Le filet de lumière suffit à faire fuir les méchantes idées apportées par la nuit. L’homme embrasse l’enfant sur le front, caresse son visage, se lève. Dans l’embrasure de la porte, il souhaite une belle nuit à l’enfant.

6#

(Chose vue) L’homme et l’enfant se promènent dans le parc. L’homme se promène. L’enfant court, zigzague, s’arrête et repart dès que l’homme est à sa hauteur. L’homme et l’enfant quittent le chemin qui fait le tour complet du lac et se rapprochent de la rive. L’homme dit à l’enfant de l’attendre. L’enfant donne sa main à l’homme près de la berge. L’homme fait attention à l’enfant. Il ne faudrait pas que l’enfant tombe dans l’eau. Elle est froide, l’enfant tomberait malade. L’homme montre à l’enfant les oiseaux qui barbotent ou glissent sur l’eau grise du lac. Tu as vu ? L’enfant voit, mais pourquoi celui-là n’a-t-il pas de col vert comme les autres. Et les canards blancs. Les oiseaux blancs ne sont pas des canards mais des mouettes. L’enfant regarde les mouettes. Elles virevoltent et plongent soudain, le bec en avant. Les mouettes jouent avec leurs copains, dit l’enfant. L’homme acquiesce. Tous les oiseaux ne sont pas blancs, celui avec de grandes jambes n’est pas une mouette ni un canard. C’est un héron. Oui, un héron sans copain. Peut-être qu’il préfère être seul. L’enfant répète le mot avant de l’appeler. Héron. L’enfant voudrait bien qu’il se rapproche. L’enfant voudrait le voir de plus près. Il ne bouge pas. L’attention de l’enfant est à nouveau captée par les canards qui s’approchent. L’enfant fait un pas en arrière. L’homme veut apaiser l’enfant, L’homme embrasse l’enfant. L’homme dit ce qu’il veut, l’enfant n’est pas rassurée, l’enfant ne veut pas qu’ils s’approchent.

5#

(Chose vue) L’homme et l’enfant sont la main dans la main dans la rue et jusqu’à la porte verte du square que l’enfant pousse. L’enfant court vers l’aire de jeu. L’homme marche vers l’un des bancs verts. L’homme s’assoit. L’enfant joue. L’homme déplie un journal et l’enfant se hisse en haut du toboggan qu’elle s’apprête à dévaler. L’enfant glisse sur la piste du toboggan et le regard de l’homme sur les colonnes de la page du journal qu’il ne lit pas. L’enfant s’amuse. L’homme s’ennuie. L’enfant escalade à nouveau l’échelle adossée à la piste du toboggan. L’homme replie le journal et embrasse le square des yeux. D’abord l’enfant et les enfants qui jouent dans l’aire réservée au sol rose pâle matelassé puis il s’attarde sur les femmes et les hommes assis sur les bancs qui, comme lui, pour la plupart, surveillent sans enthousiasme leurs enfants. L’homme remarque une femme tout de noir voilée, de la tête aux pieds. Et les mains aussi. Gantées. Un bref coup de vent fait se soulever le tissu et découvre le sein nu et laiteux de la femme tout de noir voilée auquel s’agrippe la bouche d’un enfant. La femme tout de noir voilée ne recouvre pas tout de suite le sein et l’enfant. La femme tout de noir voilée ne sait pas son sein découvert. Les regards de l’homme et de la femme tout de noir voilée se croisent quand d’un geste brusque elle masque à la vue le sein et l’enfant. L’homme ne sait pas si la femme rougit mais l’enfant appelle l’homme. L’enfant veut que l’homme voit ses exploits.

4#

(Chose vue) L’homme et l’enfant. L’homme dans la chambre de l’enfant. L’homme dans la chambre qu’il préparait pour l’enfant. L’enfant ne sait pas que c’est sa chambre désormais. La nouvelle chambre de l’enfant. Elle exhale une trop forte odeur de peinture, de neuf, et l’enfant se demande pourquoi l’homme s’extasie tant devant ces murs d’un moche rose bien trop pâle. L’enfant ne pipe mot, trouve les décalcomanies à l’effigie de Mon Petit Poney (♥) ignobles. Elles se décollent par certains côtés, en plus. L’enfant elle préfère, par exemple, Lady Oscar. Hors les peintures et décorations murales l’enfant ne comprend pas les paroles de l’homme. Ici, les objets sont les mêmes que ceux dans sa chambre mais ils sont différents. Très. Brillants. Ou neufs, peut-être. En tous cas, ils ne sont pas disposés comme ils devraient l’être et la fenêtre n’est pas à sa place. Alors chacun des meubles qui remplissent la pièce n’y sont pas non plus. L’enfant demande à l’homme quand elle rentrera chez elle. L’homme sourit à l’enfant mais ne lui répond pas. L’enfant hausse les épaules et fait sauter hors de la caisse en plastique quelques-uns des jouets qu’elle étale sur le lit. Elle joue mais l’homme reste dans l’embrasure de la porte. L’homme dérange l’enfant. L’homme regarde l’enfant et l’enfant n’aime pas être observée par l’homme. L’enfant tourne la tête vers l’homme et lui demande pourquoi il reste là. L’enfant répète la question et ne comprend pas la réponse de l’homme : je te regarde jouer.