9#

(Chose vue) L’homme et l’enfant à quelques mètres l’un de l’autre. L’enfant devant, l’homme derrière. L’enfant zigzague dans l’allée, évite les sportifs matutinaux qui courent l’air très sérieux. L’enfant court sans sérieux et se retourne de temps à autre. L’enfant ne sait pas s’il faudrait semer l’homme ou bien s’assurer de sa présence. L’homme marche droit, son téléphone dans la main collée à son oreille et les yeux rivés vers l’enfant. L’enfant n’entend pas ce que l’homme dit à la femme. Parfois la voix de l’homme se fait plus forte, c’est parce qu’il intime à l’enfant de ne pas. Ou de. Parfois la voix de l’homme se fait plus douce, l’homme parle à la femme et regarde l’enfant. L’homme et l’enfant se promènent dans le parc des Buttes-Chaumont. L’homme dirige l’enfant. L’homme dit à l’enfant d’aller par là. L’homme ne veut pas que l’enfant se trouve face au petit manège. L’homme ne veut pas payer un tour de manège à l’enfant. L’homme trouve qu’il fait trop froid ce matin pour rester statique devant le manège et, à chaque tour, faire un signe de la main à l’enfant agrippée et ravie. L’homme et l’enfant, ils savent tous les deux que c’est aussi de ce côté que se trouvent les poneys. L’homme veut aussi éviter les poneys. L’enfant voudrait bien faire un tour de manège et monter sur un poney. L’enfant n’est jamais monté sur un poney. L’homme ne veut pas laisser l’enfant chevaucher ni les poneys ni les chevaux de bois du manège. L’homme parle dans le téléphone, voudrait rentrer.

8#

(Chose vue) L’homme est réveillé par l’enfant. L’enfant geint et appelle la femme mais c’est l’homme qui se lève et pousse la porte de la chambre de l’enfant. L’enfant ne reconnaît pas l’homme et pleure un peu plus fort. L’homme allume une veilleuse et s’approche doucement du lit de l’enfant. L’homme s’accroupit. Je suis là dit l’homme à l’enfant en pleurs dans son lit en ruines. L’enfant est en sueur et les couvertures toutes retournées et humides de la transpiration fiévreuse de l’enfant. L’enfant appelle. L’enfant réclame la femme mais c’est l’homme qui est là. L’homme dit. Je suis là. L’enfant dit. Où est la femme. L’homme répète. Je suis là. L’homme s’assied sur le bord du lit de l’enfant. L’homme caresse doucement la tête enfiévrée de l’enfant épuisée. L’enfant tousse, flegmatique. L’enfant est d’humeur crasseuse et bougonne encore. La femme. Où est la femme. L’homme prend l’enfant dans ses bras et la berce doucement. L’enfant fait mine de se débattre avant de caler sa tête dans le creux du bras de l’homme dont elle aime l’odeur. L’homme susurre une comptine à l’oreille de l’enfant qui se détend lentement. L’homme ne sait pas quoi faire et dépose doucement la tête de l’enfant sur l’oreiller. Je reviens, dit l’homme à l’enfant. Je vais chercher quelque chose. Soigner l’enfant. L’homme quitte la chambre de l’enfant pour la salle de bains où sont stockées, désordonnées, des boîtes de médicaments. Un sirop épais devrait apaiser l’enfant. L’homme aimerait bien que la femme.

7#

(Chose vue) L’homme et l’enfant la nuit. L’homme dort dans une chambre et l’enfant dans l’autre. L’enfant ne dort pas. L’enfant se réveille trempée de sueurs et de larmes mélangées et geint. L’enfant dans le noir appelle la femme. L’enfant n’aime pas le noir. L’enfant n’aime pas quand l’homme ferme la porte après que l’enfant s’est endormie. L’enfant pleure et l’homme se réveille, entend l’enfant pleurer dans la chambre à côté. L’homme aimerait dormir. Mais l’enfant appelle la femme et l’homme se vêt, ouvre la porte de la chambre et chuchote quelques mots à l’enfant. L’homme demande à l’enfant qui réclame la femme ce qu’il se passe. La femme ne viendra pas dit l’homme. L’homme dit à l’enfant qu’il est là, lui. L’homme rappelle à l’enfant que l’homme et l’enfant sont ensemble maintenant. L’homme dit qu’il ne sait pas quand la femme viendra. L’homme ne sait pas quand l’enfant verra la femme. Bientôt, surement. L’homme s’assoie sur le lit, près de l’enfant dont il caresse les cheveux. L’homme n’est pas habile. L’homme ne sait pas consoler l’enfant. L’homme susurre encore quelques mots à l’enfant et lui commande doucement de se rendormir. L’homme promet qu’il laissera la porte entr’ouverte, il laissera la lampe allumée dans le couloir. L’enfant cesse de pleurer. Le filet de lumière suffit à faire fuir les méchantes idées apportées par la nuit. L’homme embrasse l’enfant sur le front, caresse son visage, se lève. Dans l’embrasure de la porte, il souhaite une belle nuit à l’enfant.

6#

(Chose vue) L’homme et l’enfant se promènent dans le parc. L’homme se promène. L’enfant court, zigzague, s’arrête et repart dès que l’homme est à sa hauteur. L’homme et l’enfant quittent le chemin qui fait le tour complet du lac et se rapprochent de la rive. L’homme dit à l’enfant de l’attendre. L’enfant donne sa main à l’homme près de la berge. L’homme fait attention à l’enfant. Il ne faudrait pas que l’enfant tombe dans l’eau. Elle est froide, l’enfant tomberait malade. L’homme montre à l’enfant les oiseaux qui barbotent ou glissent sur l’eau grise du lac. Tu as vu ? L’enfant voit, mais pourquoi celui-là n’a-t-il pas de col vert comme les autres. Et les canards blancs. Les oiseaux blancs ne sont pas des canards mais des mouettes. L’enfant regarde les mouettes. Elles virevoltent et plongent soudain, le bec en avant. Les mouettes jouent avec leurs copains, dit l’enfant. L’homme acquiesce. Tous les oiseaux ne sont pas blancs, celui avec de grandes jambes n’est pas une mouette ni un canard. C’est un héron. Oui, un héron sans copain. Peut-être qu’il préfère être seul. L’enfant répète le mot avant de l’appeler. Héron. L’enfant voudrait bien qu’il se rapproche. L’enfant voudrait le voir de plus près. Il ne bouge pas. L’attention de l’enfant est à nouveau captée par les canards qui s’approchent. L’enfant fait un pas en arrière. L’homme veut apaiser l’enfant, L’homme embrasse l’enfant. L’homme dit ce qu’il veut, l’enfant n’est pas rassurée, l’enfant ne veut pas qu’ils s’approchent.

5#

(Chose vue) L’homme et l’enfant sont la main dans la main dans la rue et jusqu’à la porte verte du square que l’enfant pousse. L’enfant court vers l’aire de jeu. L’homme marche vers l’un des bancs verts. L’homme s’assoit. L’enfant joue. L’homme déplie un journal et l’enfant se hisse en haut du toboggan qu’elle s’apprête à dévaler. L’enfant glisse sur la piste du toboggan et le regard de l’homme sur les colonnes de la page du journal qu’il ne lit pas. L’enfant s’amuse. L’homme s’ennuie. L’enfant escalade à nouveau l’échelle adossée à la piste du toboggan. L’homme replie le journal et embrasse le square des yeux. D’abord l’enfant et les enfants qui jouent dans l’aire réservée au sol rose pâle matelassé puis il s’attarde sur les femmes et les hommes assis sur les bancs qui, comme lui, pour la plupart, surveillent sans enthousiasme leurs enfants. L’homme remarque une femme tout de noir voilée, de la tête aux pieds. Et les mains aussi. Gantées. Un bref coup de vent fait se soulever le tissu et découvre le sein nu et laiteux de la femme tout de noir voilée auquel s’agrippe la bouche d’un enfant. La femme tout de noir voilée ne recouvre pas tout de suite le sein et l’enfant. La femme tout de noir voilée ne sait pas son sein découvert. Les regards de l’homme et de la femme tout de noir voilée se croisent quand d’un geste brusque elle masque à la vue le sein et l’enfant. L’homme ne sait pas si la femme rougit mais l’enfant appelle l’homme. L’enfant veut que l’homme voit ses exploits.

4#

(Chose vue) L’homme et l’enfant. L’homme dans la chambre de l’enfant. L’homme dans la chambre qu’il préparait pour l’enfant. L’enfant ne sait pas que c’est sa chambre désormais. La nouvelle chambre de l’enfant. Elle exhale une trop forte odeur de peinture, de neuf, et l’enfant se demande pourquoi l’homme s’extasie tant devant ces murs d’un moche rose bien trop pâle. L’enfant ne pipe mot, trouve les décalcomanies à l’effigie de Mon Petit Poney (♥) ignobles. Elles se décollent par certains côtés, en plus. L’enfant elle préfère, par exemple, Lady Oscar. Hors les peintures et décorations murales l’enfant ne comprend pas les paroles de l’homme. Ici, les objets sont les mêmes que ceux dans sa chambre mais ils sont différents. Très. Brillants. Ou neufs, peut-être. En tous cas, ils ne sont pas disposés comme ils devraient l’être et la fenêtre n’est pas à sa place. Alors chacun des meubles qui remplissent la pièce n’y sont pas non plus. L’enfant demande à l’homme quand elle rentrera chez elle. L’homme sourit à l’enfant mais ne lui répond pas. L’enfant hausse les épaules et fait sauter hors de la caisse en plastique quelques-uns des jouets qu’elle étale sur le lit. Elle joue mais l’homme reste dans l’embrasure de la porte. L’homme dérange l’enfant. L’homme regarde l’enfant et l’enfant n’aime pas être observée par l’homme. L’enfant tourne la tête vers l’homme et lui demande pourquoi il reste là. L’enfant répète la question et ne comprend pas la réponse de l’homme : je te regarde jouer.

3#

(Chose vue) L’homme et l’enfant dans le supermarché. Dans la file stationnée à quelques mètres du tapis roulant qu’actionne le pied invisible de la caissière. Un à un, elle passe les codes barres devant la vitre qui abrite le rayon rouge et émet un son aigu à chaque fois que la machine reconnaît l’une ou l’autre des produits sur le tapis. L’enfant répète après la machine. L’enfant imite la machine et se fait sermonner par l’homme qui lui intime l’ordre de se taire. L’homme dit à l’enfant de ne pas imiter la machine. L’enfant se tait. L’enfant tourne autour de l’homme encombré : il tient dans une main une serviette en cuir noir et de l’autre un panier en plastique vert rempli de provisions, enfin, une sacoche en tissu synthétique en bandoulière. L’homme demande à l’enfant d’arrêter de remuer. L’enfant cesse. Elle se tient coite à la droite de l’homme. Entre l’homme et l’enfant, le panier à provisions qui ne contient rien de fameux. De la nourriture utilitaire. Pas de chocolat. Ni de pâte à tartiner. L’enfant demande à l’homme qui répond non avant que l’enfant n’ait terminé sa phrase. L’homme débute un discours pénible. Il est question de dentition, de légumes, de poids idéal. L’enfant n’écoute plus l’homme mais regarde, derrière eux, un rayon achalandé de stylos, cahiers et autre matériel de bureau. Dont une splendide petite corbeille à papier rouge sur laquelle est dessiné, en noir et blanc, un petit garçon en-dessous duquel l’enfant déchiffre l’inscription Le petit Nicolas.

2#

(Chose vue) Dans la rue l’homme et l’enfant se toisent l’un l’autre et ne marchent pas. Ni l’homme, ni l’enfant. L’enfant est les deux poings très serrés, les bras le long du corps. L’homme, les deux bras de l’homme brassent l’air de la ville. Les deux bras de l’homme font de larges mouvements circulaires. L’homme montre à l’enfant un côté de la rue puis l’autre et les voitures qui filent à toute allure. Les veines temporales mauves de l’homme grossissent à mesure que les ongles de l’enfant s’enfoncent dans ses petites paumes. L’homme gronde l’enfant. L’homme crie. La femme ne criait pas. L’homme apprend à se comporter avec l’enfant. L’homme manque de tendresse envers l’enfant qui le lui rend bien. L’enfant se renfrogne et répète qu’elle n’est pas un enfant. L’homme dit le contraire. L’homme dit à l’enfant qu’il est un enfant et qu’il est l’homme. L’enfant doit écouter l’homme. L’enfant doit faire ce que dit l’homme. L’enfant a peur et acquiesce. L’enfant ment mais l’homme ne le sait pas. Les bras de l’homme ne sont plus menaçants et les poings de l’enfant ne se desserrent pas. Les ongles s’enfoncent petit à petit dans le creux des mains de l’enfant. L’enfant sent battre le sang dans ses mains, n’ouvre pas les mains et refuse la main de l’homme qui lui tend la sienne. L’homme sourit, prononce quelques phrases apaisantes et propose encore sa main. L’enfant refuse la main de l’homme. L’homme pousse l’enfant d’un geste vif, l’homme fait vaciller l’enfant et l’oblige à marcher.

1#

(Chose vue) L’homme et l’enfant sur le quai de la gare face au train dont les portes se ferment. L’homme et l’enfant font un signe vers la femme. Ils voient leurs reflets dans la vitre du train, agitent leurs mains vers la femme. L’homme et l’enfant restent à quai et elle dans le train, peut-être elle les regarde. L’homme et l’enfant ne savent pas. L’homme et l’enfant ne voient pas la femme dans le train et l’homme et l’enfant ne savent pas quoi faire de leurs deux mains entrelacées. Depuis longtemps l’homme et l’enfant perdaient la femme. L’homme et l’enfant ne sont pas habitués d’être main dans la main. Tu viens, dit l’homme. À l’enfant qui sait n’avoir guère le choix. L’enfant laisse sa main traîner dans celle de l’homme et le suit sur le quai, dans le hall puis les escaliers mécaniques vers les souterrains métropolitains et l’autre quai ; enfin la rame dans laquelle ils s’assoient. L’un à côté de l’autre. L’enfant regarde l’homme qui regarde à travers la vitre les tunnels décorés de quelques tags. L’homme compte les néons, et ne sait toujours pas combien de tubes parcourent l’ensemble des cent-soixante-trois kilomètres métropolitains. L’enfant ne compte pas les stations et l’homme ne lui indique pas le nom de la station où ils descendront. L’homme pense que l’enfant sait. L’enfant ne sait pas. L’enfant ne connaît pas le prénom de l’homme. L’enfant fait confiance à l’homme. La femme confiait l’enfant à l’homme. La femme fait confiance à l’homme, l’enfant croit en l’homme.

#21

(Chose vue) L’enfant et la femme debout sur le long quai gris bruyant sur lequel elles sont bousculées par les passants et leurs valises. L’enfant tient fort la main de la femme. L’enfant craint d’être avalée par la foule. L’enfant ne dit rien à la femme dont le visage est fermé, les sourcils froncés et les yeux inquiets. La femme cherche quelque chose. La femme regarde un large panneau dont les inscriptions changent souvent. Les différents panneaux noirs sur lesquels sont gravés des caractères blancs roulent à toute vitesse sur eux-mêmes avant de ralentir et de s’arrêter sur des lettres qui sont des noms de villes que l’enfant ne connaît pas. Les roulements des caractères, l’enfant, si elle fermait les yeux, penserait peut-être à l’envol d’un groupe d’oiseaux. L’enfant ne ferme pas les yeux. L’enfant craint de perdre la main de la femme si elle ferme les yeux. La femme brusque l’enfant et la tire dans une direction puis une autre. La femme hésite. La femme dit à l’enfant de se presser. La femme dit à l’enfant le retard. La femme dit à l’enfant que l’homme restera avec l’enfant. L’enfant ne veut pas rester avec l’homme. L’enfant préfère être avec la femme L’enfant aime l’homme mais pense que l’homme il n’aime pas l’enfant. L’enfant ne dit pas que peut-être elle a peur de l’homme. La femme lâche la main de l’enfant. L’homme prend la main de l’enfant. L’homme et l’enfant se taisent et regardent monter dans le train la femme qui fait un salut de la main à l’homme et à l’enfant.

#20

(Chose vue) Les sirènes retentissent dans toute la ville et devant la double porte close de l’école. Elles modulent une même note qui monte et descend, et se rehausse et rechute et. Cela dure quelques minutes. La tonalité est entrecoupée par quelques secondes de silences ; et c’est comme ça tous les mois. Chaque premier mercredi de chaque mois les sonneries de l’école rivalisent mal avec les sirènes de la ville. La femme appuyée le dos contre le lampadaire regarde émerger les enfants de l’école. Les enfants hurlent et la femme cherche parmi toutes les têtes celle de l’enfant. Les enfants déferlent et se déversent, à toute vitesse, sur le trottoir si vite et si fort que le second battant de la lourde porte d’entrée en bois sombre cède sous l’épais flot d’enfants. La femme regarde les enfants se disperser vers des hommes et des femmes qu’ils embrassent ou non, desquels ils prennent ou non les mains. La femme constate le flux d’enfants se tarir. La femme remarque une hiérarchie dans ce déferlement : les petits aux cartables rectangulaires épais et lourds sont plus rapides que les grands dont les sacs à dos plus légers tiennent sur une seule épaule, la droite le plus souvent. La femme regarde l’enfant qui se dandine. L’enfant court vers la femme, les pouces à hauteur des aisselles et calés sous les bretelles du cartable. La femme est heureuse. La femme retrouve l’enfant. La femme embrasse l’enfant. La femme prend la main de l’enfant. La femme caresse la tête de l’enfant. Ça va ?

#19

(Chose vue) La femme et l’enfant sont toutes les deux assises sur le rebord du quai joliment empierré. La femme et l’enfant sont assises. Les quatre jambes de la femme et de l’enfant se balancent en cadence au-dessus de l’eau, à quelques mètres des voiliers alignés dans le port de plaisance. La femme et l’enfant écoutent les clapotis de l’eau contre le béton, les klaxons des voitures et crissements des pneus dans la rue, les claquements des pieds sur le quai. La femme et l’enfant sont le dos à la ville éclairée. L’enfant est fatiguée mais les choses à regarder ici sont belles. L’enfant ne dit pas à la femme qu’elle voudrait s’allonger, dormir. La femme regarde alternativement l’horizon et l’enfant. La femme demande à l’enfant si ça va. L’enfant répond qu’elle n’a pas froid, qu’elle est heureuse de regarder la lune comme de l’argent se refléter dans la mer d’huile noire à leurs pieds. L’enfant ne le dit pas avec ces mots. L’enfant dit : la lune brille et elle est belle dans l’eau. La femme est heureuse. L’enfant laisse divaguer son imagination. Il est très vite question de fées. L’enfant demande à la femme d’expliquer les taches sombres sur face lunaire. La femme tente quelques explications hasardeuses auxquelles l’enfant souscrit. L’enfant ne remet pas en question les choses que la femme dit. La femme dit toujours vrai. L’enfant ne sait pas que la femme peut mentir. L’enfant regarde de tous ses yeux le ciel la lune et la mer qui ondulent aux pieds de la femme et de l’enfant.

#18

(Chose vue) La femme et l’enfant marchent dans la rue en pente et pavée. La femme tient la main de l’enfant. L’enfant trébuche et glisse sur les dalles humides. La femme tient fermement l’enfant, l’empêche de choir. De son autre main, la femme tient un parapluie à l’aide duquel elle essaie, en vain, de protéger l’enfant de la pluie. L’enfant, la tête de l’enfant, disparaît sous la capuche de son parka jaune vif. L’enfant porte un vêtement d’adulte : un ciré jaune vif plus ou moins adapté à la taille de l’enfant. Les manches sont retroussées pour permettre aux deux mains de l’enfant d’émerger, tenir la main de la femme, et de l’autre main, la gauche, le cartable à roulettes bleu et rose qui brimbale derrière la femme et l’enfant. L’enfant tire le cartable. L’enfant peine. Le cartable ventru est trop lourd pour l’enfant. La femme tire l’enfant qui traîne le cartable à roulettes. La femme abaisse sa tête en direction de l’enfant et parle d’un ton sec. La femme gronde l’enfant. L’enfant ne marche pas assez vite, dit la femme. L’enfant pourrait faire un effort. La femme dit à l’enfant de se dépêcher. La femme dit qu’elle aussi elle est mouillée, qu’elle à froid. La femme dit à l’enfant que moins l’enfant marchera vite plus la femme et l’enfant seront mouillées et la femme en colère contre l’enfant. L’enfant pleure. L’enfant crie à la femme. L’enfant n’y est pour rien s’il pleut, si les roulettes du cartable ne sont d’aucune efficacité sur les pavés mouillés de cette rue en pente.

#17

(Chose vue) La femme est un panier en plastique dans une main et celle de l’enfant dans l’autre. Les produits sur la liste de courses sont dans la corbeille. La femme et l’enfant patientent devant la caisse dont le tapis roulant noir est à peine à deux mètres, trois autres panières vertes et remplies. L’enfant s’impatiente et la femme se dit que, décidément, choisir la bonne file. L’enfant trépigne et la femme s’impatiente. La femme n’aime pas l’enfant quand l’enfant joue trop l’enfant. L’enfant sautille, presse la femme de questions sur le temps à attendre. La femme ne répond pas aux questions de l’enfant. L’attention de l’enfant est détournée par les magazines colorés étalés sur le présentoir en plastique blanc, juste au-dessus des sucreries diverses dont toutes les vertus revendiquées sont imprimées sur les paquetages colorés. La femme transvase enfin les différents produits du panier vert, qu’elle encastrera ensuite dans la pile déjà constituée devant elle, au tapis roulant noir actionné par le caissier. Elle les rangera ensuite dans des sacs en plastique blanc et épais, et garde un œil sur l’enfant agitée. La femme regarde le ticket et lit. Mag : 2971 Term 0007 Op : 10012 Tick : 88136 le 17/04/08 À 19:55 Ce ticket vaut bon de garantie. À conserver. Du 11 au 22 mars 2008 dans votre supermarché le grand jeu roll over (1 euro = 6.55957) Merci de votre confiance. À bientôt. Les Mousquetaires. La femme empoche le ticket et prend la main de l’enfant avant de traverser la rue.

#16

(Chose vue) Dans le jardin des Plantes les fleurs sont encore fermées, le sol labouré et la terre humide, fraîche. Mais les fleurs. La femme et l’enfant la main dans la main l’une et l’autre dépassent la grille de fer forgée ; elles ne s’arrêtent à la mosquée. La femme ne dit à l’enfant que derrière les murs blancs et opaques du bâtiment les gâteaux sont sucrés et le thé agréable. L’enfant ne sait pas les gâteaux et le thé dans les tasses fines et traîne les deux pieds dans le jardin des Plantes ; la femme ne veut pas entrer dans la mosquée. Les pieds de l’enfant soulèvent la poussière La femme ne veut pas s’asseoir avec l’enfant à la terrasse de la mosquée et expliquer les moucharabiés. La femme souhaite marcher les allées du jardin et sourire de se trouver comme chaque année face à cette arbre tordu. Un platane. La femme montre l’arbre à l’enfant. La femme dit à l’enfant : cet arbre est un platane. L’enfant et la femme sont les mains mélangées et regardent le platane à la drôle d’excroissance et la femme et l’enfant s’assoient sur le banc à quelques mètres de l’arbre. La femme passait des saisons entières sur ce banc à lire et regarder. La femme se souvient. L’enfant n’existait pas. La femme se promenait dans le jardin des Plantes les pieds de l’enfant ne soulevaient aucune poussière. La femme marchait dans les allées du parc. La femme regardait les clématites qui suffisaient à la remplir de bonheur. La femme oubliait les clématites, l’enfant ne connaît pas les clématites.

#15

(Chose vue) La femme et l’enfant abaissent ensemble la poignée en bois de la porte rouge et vitrée. La femme et l’enfant entrent et tintinnabule une cloche qu’elles ne voient pas. La cloche, accolée à la porte, est poussée par elle, puis rebondit vacille de gauche à droite et dans tous les sens aussi. L’enfant s’arrête et lève la tête. L’enfant regarde le marteau frapper la cloche. L’enfant n’aime pas le son de la cloche auquel la femme ne fait pas attention. La femme s’avance et prononce un bonjour d’un filet de voix trop faible que personne n’entend. Chacun dans la librairie a les yeux rivés sur les étals et les rayonnages des livres. Littérature française, anglo-saxonne, allemande, slave, hispanique, japonaise etc. Les livres que la femme embrasse du regard sont tous bien alignés sur les étagères. Peut-être, la femme regrette ce bel ordre qu’elle apprécie. L’enfant cesse de regarder la cloche qui se tait et s’approche de la femme dont elle prend la main. La main de l’enfant se glisse dans le creux de la paume de la main de la femme qui cesse de regarder les livres. La femme regarde l’enfant. La femme sourit à l’enfant. L’enfant sourit à la femme. L’enfant et la femme effectuent quelques pas, sillonnent entre quelques meubles trop haut pour que l’enfant y voit les livres alignés. La femme et l’enfant tournent sur la gauche et descendent la volée d’escalier jusqu’au sous-sol où sont alignés, avec le même triste et nécessaire ordre, les livres qui pourraient tenter l’enfant.

#14

(Chose vue) L'enfant tient fort dans sa petite main la grande main de la femme. La main de l'enfant ne parvient à enserrer celle de la femme. La main de la femme déborde de celle de l'enfant. La main de la femme entoure tout à fait celle de l'enfant. Le pouce de la main de la femme effleure sans peine ses index et majeur. La foule grossit à vue d'œil et l'enfant serre plus fort la main de la femme. La femme sent la pression de la main de l'enfant dans la sienne. Sa main gauche. L'enfant, son horizon se bouche au fur et à mesure que les corps se pressent les uns contre les autres. Ils ne voient pas l'enfant. Les corps bousculent l'enfant. L'enfant serre la main de la femme. La femme n'est oppressée par les corps : la femme ne se rend pas compte. L'enfant serre à lui faire mal la main de la femme et n'est plus très assurée de souhaiter se rendre au cinéma. La femme sourit. La femme regarder au-delà des corps serrés les uns contre les autres ; la femme devine un univers imperceptible pour l'enfant. L'enfant questionne la femme. La femme se penche et répond à l'enfant. Bientôt, nous rentrerons. L'enfant le pressent. L'enfant est cognée par les cuisses et les genoux des corps, l'enfant sait que la masse se meut. L'enfant et la femme font quelques pas. La femme tient la main de l'enfant et la femme est distraite, elle sourit. L'enfant voit le sourire de la femme. L'enfant voit bien les rides perpendiculaires à la bouche rouge de la femme se dessiner avec le mouvement de sa bouche.

#13

(Chose vue) La femme et l'enfant dans le train. D'abord, la femme et l'enfant sur le quai de la gare. La femme, encombrée par la valise avec les roulettes et la main de l'enfant dans l'autre main de la femme. Les roulettes de la valise que la femme tire vrombissent et l'enfant elle pense aux mouches et aux voitures. Les voitures stoppées par les sémaphores comme les mouches au bord tout à fait de la table ; elles vrombissent avant le démarrage, le décollage. La femme la main de l'enfant dans son autre main et dans la main de la femme la valise et les billets de train qu'elle abîme de trop serrer la poignet de la malle dont les roulettes ronronnent sur le sol macadamisé noir du quai de la gare. La femme tire la valise et pousse l'enfant ; elles marchent vite jusque la voiture cinq du TGV 5689 et le quai est encombré de jeunes gens harnachés de sacs à dos et paire de skis sur les épaules. La femme sent la transpiration s'accumuler sous ses aisselles et l'enfant ressent la pression plus forte de la femme. La femme presse trop fort la main de l'enfant. La femme fait mal à l'enfant qui refuse d'avancer. La femme fait mal à l'enfant. La femme craint de rater le train numéro 5689. La femme s'arrête sur le quai et s'accroupit face à l'enfant qui commence de pleurer en silence. Des larmes roulent sur les joues rebondies de l'enfant ; en silence. La femme présente ses excuses à l'enfant. La femme explique à l'enfant. Il faut se dépêcher sinon la femme et l'enfant manqueront le train.

#12

(Chose vue) La femme est avec l’enfant. La femme sourit. La femme, elle aime l’enfant. L’enfant, elle est la fille de la femme. La femme acquiesce. L’enfant raconte à la femme comment la mer est grande, bruyante. L’enfant dit à la femme que la mer est bleue et en mouvement. L’enfant dit : la mer, elle bouge tout le temps. La femme ne sait pas pourquoi, la mer, elle bouge tout le temps d’avant en arrière. Je ne sais pas dit la femme à l’enfant qui la questionne. L’enfant s’amuse devant la mer et la femme regarde l’enfant les pieds nus. Les pieds de l’enfant s’enfoncent dans le sable de la plage. L’enfant a froid, un peu. La femme se tient accroupie à côté de l’enfant. La femme et l’enfant, toutes deux, elles regardent la mer. La femme et l’enfant aiment le ressac. La femme apprend le mot ressac à l’enfant. L’enfant répète le mot, lentement. L’enfant dit ressac. La femme dit ressac. La femme dit : le ressac est une forme de vague. La femme dit : le ressac c’est le tour sur elle-même que fait la vague lorsqu’elle se brise. L’enfant écoute la femme et opine du chef. L’enfant regarde la mer et le rouleau blanc d’écume d’une autre façon maintenant. L’enfant dit encore une fois, plus vite, ressac. La femme s’assied dans le sable et dit à l’enfant de se rechausser parce qu’elle va prendre froid. L’enfant ne veut pas tout de suite enfiler les chaussures. Elle veut jouer encore avec le sable sur ses pieds. La femme n’insiste pas et hausse les épaules. D’accord dit la femme à l’enfant.

#11

(Chose vue) La femme assise à la terrasse du café. La femme croise haut les jambes. La femme découvre ses jambes. Ses cuisses galbées enfermées dans ses bas synthétiques noirs. La femme pose un coude sur la petite table ronde en marbre et tient tout contre son oreille le téléphone. La femme parle à l’enfant. La femme écoute les jolies choses que lui dit l’enfant dans le creux de l’oreille. La femme, elle sourit. L’enfant, elle parle. La femme et l’enfant sont l’oreille collées l’une et l’autre. La femme répond à l’enfant. L’enfant répond à la femme. L’enfant explique longtemps des choses à la femme. La femme pose des questions à l’enfant. La femme fait tourner la petite cuillère dans sa main. La femme touille sans raison le café dans la tasse. Le café de la femme est sans sucre. La femme décroise les jambes et pose la cuillère dans la soucoupe et de sa main libre extraie de son sac des cigarettes, un paquet de Merit. La femme cale le téléphone contre son oreille, s’aide de son autre main et du paquet retire une cigarette. L’enfant dit d’autres choses à la femme qui acquiesce d’un mouvement de la tête, mord un peu la cigarette dans sa bouche. La femme actionne la molette grise du briquet noir et allume la cigarette. La femme aspire le tabac et recrache la fumée dans l’appareil. L’enfant entend le souffle de la femme qui expulse les fumées bleues de la cigarette. L’enfant manque à la femme. La femme voudrait l’enfant près d’elle. L’enfant est loin, de l’autre côté de la ville.

#10

(Chose vue) La femme et l’enfant. La femme regarde l’enfant. L’enfant ferme les yeux. La femme embrasse de tous ses bras l’enfant. L’enfant frissonne. L’enfant a froid. La femme enserre l’enfant. L’enfant colle son corps au plus près de la femme. L’enfant gémit. L’enfant ouvre les yeux. La femme murmure quelques paroles réconfortantes. L’enfant n’entend pas les paroles de la femme. L’enfant ferme les yeux. L’enfant s’assoupit. La femme et l’enfant sont assises. L’enfant est assise sur les genoux de la femme. La femme est assise sur la chaise en bois noir. Personne ne fait attention à la femme et l’enfant. Autour de la femme et l’enfant ; une neutralité totale. Pour le dire un peu comme ça, vite. L’enfant bouge et se recroqueville encore un peu plus. La femme se penche vers l’enfant ; la femme embrasse l’enfant. La femme ajuste la couverture dans laquelle elle enveloppait l’enfant. L’enfant esquisse un sourire à la femme. L’enfant caresse de sa petite main la joue de la femme. La femme penche la tête sur le côté gauche. La femme se laisse cajoler par l’enfant. La femme desserre un peu son étreinte et, avec délicatesse, passe le pouce de sa main droite sur le front de l’enfant. La femme berce l’enfant. L’enfant se laisse bercer par la femme. Toutes les deux éprouvent le plaisir d’être là assises sur la chaise noire l’une contre l’autre. La femme rassure l’enfant. L’enfant ne craint rien ; la femme l’embrasse. La femme protège l’enfant. L’enfant ouvre les yeux. L’enfant sourit.

#9

(Chose vue) La femme regarde l’enfant. L’enfant regarde la femme. La femme et l’enfant tiennent chacune un livre ouvert entre leurs mains. Dans la librairie Olivia Rosenthal donne une piètre lecture. Nous sommes assis à même le sol ; nous ne voyons ni la femme ni l’enfant qui chacune tiennent un livre ouvert entre leurs mains. La femme feuillette Détruire dit-elle et l’enfant un livre pour enfants avec une couverture noire. Olivia Rosenthal dit : faites un exercice. Nous écoutons. Olivia Rosenthal ne lit pas toutes les pages qu’elle tient dans les mains. Olivia Rosenthal lit certaines pages. Pas toutes. Olivia Rosenthal saute des pages. La femme et l’enfant ne regardent pas Olivia Rosenthal. Ni la femme ni l’enfant n’écoutent Olivia Rosenthal. La femme repose le livre. Olivia Rosenthal nous prévint : je ne lirai toutes les pages. La femme reprend le livre. La femme s’approche de l’enfant. L’enfant lit des pages du livre et la femme lit par-dessus l’épaule de l’enfant. L’enfant est concentrée. Olivia Rosenthal est concentrée. La femme cesse de lire le livre de l’enfant. La femme embrasse du regard la librairie. Sa main, la femme la pose sur l’épaule de l’enfant qui cesse de lire et sourit à la femme. L’enfant ferme le livre et parle à la femme. La femme et l’enfant paient les deux livres. Le livre de poche pour adultes et le livre noir pour enfants. La femme et l’enfant sortent. Nous regardons la femme et l’enfant. L’enfant embrasse la femme et le livre tout contre son torse.

#8

(Chose vue) La femme regarde l’enfant. La femme est assise sur l’un des bancs en bois vert de la ville. La femme observe l’enfant et tient sur ses cuisses son livre ; un livre de poche. Ouvert. L’enfant joue à quelques mètres de la femme dans le bac à sable. L’enfant ne regarde pas la femme. L’enfant regarde les vallons qu’elle construit dans le sable. A gauche de la femme, le dénicheur d’oursons, la statue, impavide, ne se laisse déranger ni par la femme et l’enfant ni par cette autre femme qui dépasse la femme et l’enfant. Edmondsson quitte le jardin. Ses boucles d’oreilles se balancent à la cadence de ses pas mais elle ne joue plus. L’enfant creuse le sable. L’enfant enfonce ses deux mains dans le sable dont les grains se faufilent sous ses ongles. Les ongles et les joues de l’enfant sont bruns de poussière. L’enfant ne regarde pas Edmondsson. La femme laisse le vent tourner les pages du livre de poche blanc posé sur ses cuisses ; son pouce marque la page et le paragraphe. La femme ne lit pas. La femme n’aime pas vraiment lire ; elle s’occupe. Elle lit tandis que l’enfant joue. La femme fait passer le temps. L’enfant se lève et regarde la femme. La femme ne regarde plus l’enfant. L’enfant appelle la femme. L’enfant veut que la femme la regarde. L’enfant crie, fort. Doucement ensuite. La femme tourne la tête, regarde l’enfant qui cesse et se laisse choir. Les genoux de l’enfant fléchissent d’un coup, comme ça, il s’écrasent et s’enfoncent dans le sol tendre. L’enfant joue.