#7

(Chose vue) La femme et l'enfant blotties sous le parapluie. La femme tient dans la main le parapluie. L'enfant la main de la femme. La femme la main de l’enfant. L'enfant s'agrippe à la main de la femme et au parapluie. La femme et l'enfant ne marchent pas. La femme et l'enfant se tiennent sur le bord du trottoir. La femme regarde la rue, les deux côtés de la rue. Les voitures vrombissent dans la rue. L'enfant compte les bandes blanches perpendiculaires à la grande rue. L’enfant s’approche du bord du trottoir, évite de poser les pieds sur les interstices des pavés de la rue. Dans la rue s'évasent de grandes flaques d'eaux sales, noires et grises ; boueuses. La femme patiente et recouvre de son autre main la main de l'enfant. La femme abaisse un peu plus le parapluie, se penche, la femme recouvre le corps entier de l'enfant sous le parapluie. La femme protège l'enfant. L'enfant se rapproche encore de la femme. Les corps de la femme et l'enfant collés l'un contre l'autre. L'enfant cale sa tête emmitouflée dans l'écharpe rouge et orange qui lui mange la moitié du visage tout contre le ventre de la femme. La tête de l'enfant cogne contre les boutons de l'imperméable jaune et fermé de la femme. La femme regarde l'enfant. La femme sourit. L’imperméable de la femme est fermé haut, le col masque le bas de sa mâchoire fine. La femme est belle. L'enfant relève la tête, regarde la femme. L'enfant sourit à la femme. La femme et l'enfant sourient, protégées de l'averse par le parapluie.

#6

(Chose vue) La rue encombrée. La rue est encombrée par les échafaudages. Dans la rue encombrée par les échafaudages les piétons peinent à avancer. La lumière est belle ce soir. La température est basse et la ville humide, les gouttelettes de pluie, fines, font se crisper les visages, elles apparaissent dans les phares jaunes ou blancs des voitures empêchées et pressées aux carrefours de la ville ce soir. Vendredi. Vendredi soir l’excitation citadine est palpable. Ressentie. Chacun se dépêche ; il est question ce soir de se défouler. Demain est un jour calme un peu. Sans travail. Les klaxons. L’heure chienne est hivernale. L’on ne sait pas. Il fait jour et nuit dans le même temps. L’on ne sait pas. Cela ne durera pas. Bientôt les choses rentreront dans l’ordre ; la nuit. La femme dans la rue tient l’enfant par la main. L’enfant se laisse porter par la main de la femme. Elle la guide. La main de la femme guide celle de l’enfant et tout son corps avec. La femme et l’enfant descendent du bus. La femme fait un grand pas et du bus au trottoir elle enjambe le caniveau. L’enfant fait un saut, s’appuie et s’aide de la main de la femme, l’enfant saute du haut bus jusqu’au trottoir ; l’enfant saute par-dessus le fleuve, le caniveau. L’enfant sourit. Victoire. La femme ne voit le sourire de l’enfant. La femme ne regarde pas l’enfant. La femme regarde le pictogramme vert qui devient rouge. La femme et l’enfant ne traverseront pas la rue. Elles patientent. La femme et l’enfant patientent.

#5

(Chose vue) la femme et l’enfant assises sur le banc. La femme et l’enfant patientent sous l’auvent. Le bus. Son arrivée. L’enfant parle à la femme. La femme répond à l’enfant. La femme acquiesce aux propos de l’enfant. L’enfant narre des choses, d’autres très inventées très vraies très belles. L’enfant parle de la peur. L’enfant eut peur aujourd’hui. L’enfant eut peur cette nuit. La femme dit à l’enfant que les choses qu’elle raconte sont fausses ; elles n’existent pas. L’enfant réplique qu’elle sait, l’enfant sait ce qu’elle dit ; les choses elle les vit. L’enfant jette un regard noir sur la femme. L’enfant se lève. L’enfant saute du banc au sol. Plutôt. Elle s’aide des deux mains qu’elle appuie, les paumes bien à plat, sur le banc. L’enfant pousse avec les mains, se soulève et d’un mouvement du bassin elle se retrouve sur ses pieds et fait face à la femme. La posture de l’enfant est crâneuse. L’enfant se tient les jambes un peu écartées, les mains maintenant sur les hanches et le menton vers le Bosphore d'Almásy. L’enfant répète encore ses mots. La femme sourit. La femme se moque de l’enfant. La femme tend la main vers l’enfant. L’enfant recule. L’enfant ne veut de la méchante délicatesse de la femme ; l’enfant ne ment pas. L’enfant insiste. La femme n’écoute plus l’enfant. La femme se lève, s’approche du bord du trottoir, et observe le bus à l’arrêt devant le sémaphore à quelques mètres de l’auvent transparent. La femme prend de force la main de l’enfant qui ne veut pas.

#4

(Chose vue) La descente de la rue effectuée tôt le matin. Le jour n’est levé, quelques trop rares et pâles étoiles peinent à se démarquer du ciel noir. Les gyrophares de toutes les couleurs des voitures bleues et blanches et rouges illuminent plus la rue que ne le font les lampadaires publics. Des hommes en uniforme et variés repoussent les badauds. Quelque chose est sur le trottoir. La forme est pittoresque, recouverte. La femme voit les hommes et la forme au sol et glisse sa main du front vers les yeux de l’enfant. Les deux mains de l’enfant s’y agrippent. L’enfant effectue quelques mouvements de la tête. Rotation. L’enfant tente de se dégager. La main de la femme sur son visage l’empêche de voir. Les hommes aux uniformes bleus, rouges, noirs. L’enfant tire la main de la femme. L’enfant veut découvrir ses deux yeux et mirer les hommes aux uniformes et la forme tordue cachée sous la brillante couverture. La femme et l’enfant ne marchent plus. La femme s’arrête et s’accroupit devant l’enfant. La femme ôte sa main des yeux de l’enfant mais tient son visage avec les deux calées contre les joues de l’enfant. La femme parle à l’enfant. La femme explique à l’enfant. L’enfant enserre la femme par le cou et se laisse emporter par la femme qui se relève. L’enfant serre ses jambes qu’elle cale sur les hanches de la femme, pose sa tête sur son épaule ; ses yeux sont clos. Les bras de la femme serrent l’enfant, l’emportent loin du corps défenestré. La femme et l’enfant, elles sourient.

#3

(Chose vue) La rue mouvementée le matin et sans le plaisir de la tout Saint-Jacques droit devant soi. La tour Saint-Jacques est empaquetée encore et derrière, à l’exact opposé. La rue est bruyante de tous côtés. Il faut être vite dans la vie de la ville ce matin. D’abord un café le coude sur le comptoir, une Winston for winners et se souvenir de cet homme qui parlait des musiques qu’il écrit, de la difficulté de plus en plus d’être sur la scène et sous les feux des projecteurs. Il enviait la solitude, être à sa table, et le face à face avec l’écran de l’ordinateur. J’enviais, un peu, l’émulation du groupe. L’instinct grégaire en berne, pour le dire comme ça. Le retour à la rue il fait plus froid peut-être et je suis comme à contre-courant. Disparaître ici, l’insatisfaction est un moteur. Pourquoi pas. Le col de la veste remonté haut, la tête dans les épaules et la main droite dans la poche du pantalon noir, les doigts jouent avec l’objet et le briquet. La femme et l’enfant s’avancent vers moi. La femme et l’enfant avec les rollers elles roulent vite sur le trottoir. L’écharpe de la femme virevolte pour ainsi dire et l’enfant tient la main de l’enfant, elle est encore endormie. Elles sont la main dans la main et filent sur le bitume, la femme sourit et l’enfant se tient les yeux mi-clos. Elles descendent la rue vers le centre de la ville, l’enfant se rapproche de la femme et enserre un peu sa taille, colle sa tête contre la hanche de la femme dont la main se pose sur sa tête.

#2

(Chose vue) La femme et l’enfant sur le bord du canal, à la croisée des deux canaux. L’herbe est rase, humide et délaissée maintenant, personne n’est allongé sur la pelouse ni ne patiente sous les gueules ouvertes des lions de la fontaine un peu plus loin vers le parvis. L’hiver, l’eau ne s’écoule, le bassin est vide et rien ne couvre les bruits de la ville. Je fais très attention à ne pas marcher sur les interstices des pavés. Aujourd’hui je ne lis pas l’horoscope mais dans le journal la page trente-trois annonce la mort d’Édouard Levé. J’acquiesce. L’enfant porte un casque vert et orange comme le vélo dont la femme tient la selle. L’enfant pédale, est très concentrée ; elle regarde droit devant elle. La femme lâche la selle. L’enfant ne sait pas que la selle est lâchée. La femme porte ses deux mains tout contre sa bouche. Elle réprime un cri et sa joie est visible dans ses yeux. Elle parle à l’enfant. L’enfant pédale encore, prend conscience de l’éloignement de la voix. Le guidon chavire de gauche à droite et l’enfant sur le vélo effectue de dangereuses embardées. L’enfant rétablit l’équilibre et esquisse un sourire dur, il lui faut rester très concentrée. Les deux mains sur le guidon du vélo, les pieds sur les pédales et la force de ses jambes pour entraîner la chaîne sur le pignon solidaire de la roue arrière. La femme exulte, plusieurs fois elle répète qu’elle n’y croit pas. C’est formidable, dit la femme. L’enfant sait faire du vélo et Édouard Levé est mort maintenant.

#1

(Chose vue) Les façons dont la femme et l’enfant accélèrent le pas dans les escaliers. La main de la femme est dans le dos de l’enfant, la pousse. La femme se penche, elle voit la rame de métro stationnée depuis longtemps maintenant. L’enfant accélère le pas tant bien que mal, ses yeux s’agrandissent et deviennent ronds, ils scrutent chacune des trop hautes marches pour ses petits pieds. La femme dit quelque chose dans une langue que L’homme ne comprend pas ; l’enfant tord la bouche et ses pieds sur les hautes marches alors l’autre main de la femme se colle contre le ventre de l’enfant. Les deux mains de la femme enserrent l’enfant et la soulève du sol. L’enfant tout contre la poitrine de la femme s’agrippe à son cou. La femme dévale d’un pas assuré les dernières marches. La femme court vers la porte encore ouverte avec l’enfant dans ses bras. La femme crie quelque chose à l’enfant. Les paroles de la femme se mélangent au signal sonore de la rame métropolitaine, l’homme ne l’entend pas. Les portes se ferment et la femme et l’enfant restent sur le quai. La femme dépose l’enfant sur le sol. L’enfant regarde le quai et la femme, le métro qui disparait. L’enfant enfouie les deux mains dans les poches de ses pantalons, se retourne, regarde d’une drôle de façon la volée d’escaliers. Sur le quai, la femme trépigne et tape un peu du pied, regarde l’heure à sa montre, puis caresse doucement la tête de l’enfant. La femme dit encore quelque chose à l’enfant. La femme et l’enfant rient.