16#

(Chose vue) L’homme et l’enfant la nuit. L’homme au pied du lit de l’enfant. L’enfant en larmes, les deux mains agrippées aux draps. Les phalanges de chacun de ses doigts blanchies de trop serrer le tissu. Je suis là dit l’homme. L’enfant ouvre et cligne ses yeux embués de larmes. L’enfant embrasse du regard l’espace de la chambre et se réveille et se souvient qu’elle est chez l’homme et pas chez la femme. L’enfant se réveille et ses doigts délaissent les draps. L’enfant et ses bras enlacent le cou de l’homme. Le visage blotti dans la nuque de l’homme. Les bras de l’enfant serrent trop fort le cou de l’homme. Je suis là, répète l’homme. L’enfant ne dit rien mais relâche un peu son étreinte. L’homme caresse le front de l’enfant puis ses cheveux épars sur l’oreiller. Je suis là, assure l’homme encore une fois. L’homme sent les larmes de l’enfant couler de sa nuque vers son omoplate. Tout va bien, ment l’homme. L’enfant se calme, l’enfant raconte son cauchemar puis cache ses bras sous la couette. Non, je ne dors pas avec toi. Dit l’homme. L’homme rassure l’enfant : la lampe restera allumée tout la nuit. La lampe chassera les monstres. La lampe chassera tous les cauchemars. La lampe allumée permettra à l’enfant de dormir. Tu verras, tout ira bien. L’enfant assoupi, l’homme quitte la pièce et fume une cigarette à la fenêtre de la cuisine. L’homme ne fait pas de bruit. L’homme se souvient de ses cauchemars. L’homme se souvient que personne ne le rassurait quand il était un enfant.

15#

(Chose vue) L’homme et l’enfant se lèvent à la demande de l’enfant. L’homme aimerait bien rester quelques minutes de plus. L’homme aime regarder les génériques des films. L’homme aime regarder les films jusqu’à ce que l’écran du cinéma soit noir tout à fait et la lumière revenue. L’enfant, non. L’enfant regarde autour d’elle. L’enfant constate que tout le monde est parti. Hormis l’homme, l’enfant, l’employé préposé aux déchets que l’homme ne regarde pas ramasser les seaux de pop-corn et autres emballages de friandises diverses ; tous sont partis. L’homme parvenait à ne pas acheter à l’enfant des friandises ou du pop-corn. L’homme masquait avec son corps le présentoir à friandises quand l’homme et l’enfant entraient dans le cinéma tout à l’heure. Tu viens, questionne l’enfant. Il faut partir. Tout le monde est parti. L’enfant n’est pas rassurée d’être ici dans cette salle désertée, seule avec l’homme. L’enfant ne fait pas tout à fait confiance à l’homme. L’enfant ne sait pas très bien qui est cet homme. L’homme aimerait mieux connaître l’enfant. L’homme voit l’enfant mal à l’aise et ne sait pas comment lui dire de rester jusqu’à la toute fin du générique. L’enfant se moque bien du générique. Mais une glace, oui. L’enfant sait lire depuis quelques mois mais les mots défilent trop vite de toute façon. L’homme se lève. L’homme prend la main de l’enfant dans sa main droite, le rehausseur de siège de l’autre. Tous les deux se dirigent vers la sortie. Viens, on va manger une glace.

13#

(Chose vue) L’homme et l’enfant à l’entrée du cinéma. L’homme tient la main de l’enfant. L’homme et l’enfant marchent le trottoir entre la voie réservée aux cyclistes et celle aux véhicules motorisés. L’homme est prudent. L’homme patiente jusque la voie totalement piétonne. L’homme lâche la main de l’enfant ; elle s’énervait dans la sienne. L’homme lâche la main de l’enfant mais met l’enfant en garde contre la proximité du canal. L’enfant ne doit pas s’approcher du bord. L’homme ne veut pas que l’enfant ne tombe dans le canal. L’enfant s’ébroue et fait quelques pas dans un sens ; dans l’autre. L’homme et l’enfant vont au cinéma. L’homme prend sa place dans la file et regarde l’enfant qui file loin, reviens. L’homme dit à l’enfant de ne pas s’approcher du bord. L’enfant dit à l’homme qu’elle sait. L’enfant sait le bord de l’eau dangereux ; surtout l’enfant s’ennuie. L’homme a dit que l’enfant irait au cinéma et l’enfant n’est pas dans le cinéma, assis sur un siège à regarder les images. L’homme a menti. L’homme n’a pas menti. L’homme fait la queue à la caisse pour acheter les tickets qui permettront à l’enfant et à l’homme d’entrer dans la salle du cinéma. L’enfant regarde l’homme et trouve que tout cela ne va pas assez vite. L’homme n’avance pas assez vite dans la file et l’enfant court encore, heurte un pavé, manque de tomber, met tous ses bras en avant afin de prévenir la chute et retrouve l’équilibre. Viens, dit l’homme, il faut rentrer dans la salle du cinéma maintenant.

12#

(Chose vue) L’homme et l’enfant dans une même pièce. Cuisine. L’homme dispose sur la table une double page d’un journal, des pommes de terre qu’il essaie d’éplucher. L’enfant repousse le journal et déploie ses cahiers. Cahier de lecture. Cahier d’écriture. Cahier de mathématiques. L’enfant sait lire. L’homme sait manier l’économe. L’enfant lit. « Une petite souris se promène dans un bois très sombre. Un renard l’aperçoit de son terrier et la trouve bien appétissante ». L’homme épluche. Il débite, métronome, la pomme de terre dont la pelure s’écrase sur la double page du journal. L’homme écoute l’enfant. L’enfant lit. L’enfant ne regarde pas l’homme qui épluche. L’enfant n’est pas un homme. L’enfant ne sait pas ânonner les syllabes qui forment des mots puis des phrases, et s’arracher du cahier. Regarder l’homme qui écoute ce que dit l’enfant. S’assurer que l’homme écoute les mots de l’enfant. L’homme sait éplucher des pommes de terre et regarder l’enfant qui lit. L’enfant lit. S’arrête. C’est quoi vaillant. L’homme ne dit pas : qui, face au danger, fait preuve de bravoure, de courage. L’homme dit : vaillant c’est comme courageux. L’enfant acquiesce. L’enfant connaît le mot courageux. L’homme doute. L’homme ne sait pas si dire que vaillant c’est courageux est la bonne réponse. L’homme se demande si dire que vaillant c’est comme courageux est la bonne réponse. Si l’enfant demande pourquoi vaillant c’est comme courageux alors pourquoi existent les deux mots. L’homme ne sait pas.

11#

(Chose vue) L’homme et l’enfant traversent la grande place. Ils la contournent, traversent de nombreuses rues qui forment une étoile un petit peu bizarre avec ces onze branches dont deux presque parallèles sont gardées par deux grandes statues aux socles blancs interminables desquels émergent deux personnages rudes aux visages difficilement discernables, durs. L’homme tire l’enfant qui rechigne à s’aventurer sur la chaussée parce qu’aucun feu de signalisation n’indique si c’est le tour des piétons ou celui des véhicules. L’homme semble sûr de lui, sa main ferme tire l’enfant et son regard efficace alterne les coups d’œil à droite à gauche. L’enfant regarde son cou et sa tête se mouvoir par à-coups, la violence et la rapidité d’un oiseau en quête d’une proie, un peu comme le font les pigeons qui jonchent les trottoirs de la ville. L’enfant s’imagine que l’homme est un rapace. L’enfant a un peu plus peur que d’habitude de l’homme qui la tire plus fort vers lui. L’homme l’invective. L’homme dit que l’enfant sera en retard à ce cours de danse auquel elle ne veut pas se rendre. L’enfant n’aime pas danser. Pas avec les autres. C’est une lubie de l’homme que de faire danser l’enfant. L’enfant ne sait pas formuler cela. L’enfant ne sait pas dire à l’homme qu’elle aime danser seule dans la chambre qui n’est pas la sienne mais qu’elle occupe chez l’homme mais qu’elle ne veut ni danser face aux autres enfants ni face à la femme qui donne les cours de danse, et les mouvements à répéter.

10#

(Chose vue) L’homme et l’enfant dans les couloirs. Une fois la rame quittée et en sécurité sur le quai, l’enfant lâche la main de l’homme et zigzague dans le couloir. L’enfant respecte les règles, reste près du mur à l’opposé du quai. L’enfant mesure la distance qui la sépare de l’homme. L’enfant sait qu’elle doit attendre l’homme dans le virage. L’homme insiste pour qu’elle reste dans son champ de vision. L’homme veut voir l’enfant déambuler dans le souterrain surchargé de publicités dont certaines sont augmentées de messages contreproductifs. Après le virage, l’enfant croise une autre enfant et le temps de quelques secondes les deux sympathisent et font-elles quelques pas ensemble. Les deux enfants crient dans les couloirs et ni l’homme ni la femme qui accompagne l’autre enfant ne répriment l’une ou l’autre. Les enfants sont des enfants et crient dans les souterrains du métro. À l’intersection de deux couloirs c’est une drôle de danse que l’enfant et l’enfant perturbent : traverser la foule se glisser dans les creux et éviter autrui et poursuivre son chemin. L’enfant et l’enfant s’invectivent. Je suis une princesse. Nous sommes deux princesses. L’enfant et l’enfant se figent le temps que passe cette femme dont l’homme ne voit que le dos. Une silhouette. Jeune ou vieille, belle ou non, l’homme ne sait pas. L’homme ne voit qu’une forme masquée par un fichu blanc et pressée de quitter les couloirs du métropolitain. Tu as vu ? Une mariée ! Une mariée ! Dit l’enfant à l’enfant.

9#

(Chose vue) L’homme et l’enfant à quelques mètres l’un de l’autre. L’enfant devant, l’homme derrière. L’enfant zigzague dans l’allée, évite les sportifs matutinaux qui courent l’air très sérieux. L’enfant court sans sérieux et se retourne de temps à autre. L’enfant ne sait pas s’il faudrait semer l’homme ou bien s’assurer de sa présence. L’homme marche droit, son téléphone dans la main collée à son oreille et les yeux rivés vers l’enfant. L’enfant n’entend pas ce que l’homme dit à la femme. Parfois la voix de l’homme se fait plus forte, c’est parce qu’il intime à l’enfant de ne pas. Ou de. Parfois la voix de l’homme se fait plus douce, l’homme parle à la femme et regarde l’enfant. L’homme et l’enfant se promènent dans le parc des Buttes-Chaumont. L’homme dirige l’enfant. L’homme dit à l’enfant d’aller par là. L’homme ne veut pas que l’enfant se trouve face au petit manège. L’homme ne veut pas payer un tour de manège à l’enfant. L’homme trouve qu’il fait trop froid ce matin pour rester statique devant le manège et, à chaque tour, faire un signe de la main à l’enfant agrippée et ravie. L’homme et l’enfant, ils savent tous les deux que c’est aussi de ce côté que se trouvent les poneys. L’homme veut aussi éviter les poneys. L’enfant voudrait bien faire un tour de manège et monter sur un poney. L’enfant n’est jamais monté sur un poney. L’homme ne veut pas laisser l’enfant chevaucher ni les poneys ni les chevaux de bois du manège. L’homme parle dans le téléphone, voudrait rentrer.

8#

(Chose vue) L’homme est réveillé par l’enfant. L’enfant geint et appelle la femme mais c’est l’homme qui se lève et pousse la porte de la chambre de l’enfant. L’enfant ne reconnaît pas l’homme et pleure un peu plus fort. L’homme allume une veilleuse et s’approche doucement du lit de l’enfant. L’homme s’accroupit. Je suis là dit l’homme à l’enfant en pleurs dans son lit en ruines. L’enfant est en sueur et les couvertures toutes retournées et humides de la transpiration fiévreuse de l’enfant. L’enfant appelle. L’enfant réclame la femme mais c’est l’homme qui est là. L’homme dit. Je suis là. L’enfant dit. Où est la femme. L’homme répète. Je suis là. L’homme s’assied sur le bord du lit de l’enfant. L’homme caresse doucement la tête enfiévrée de l’enfant épuisée. L’enfant tousse, flegmatique. L’enfant est d’humeur crasseuse et bougonne encore. La femme. Où est la femme. L’homme prend l’enfant dans ses bras et la berce doucement. L’enfant fait mine de se débattre avant de caler sa tête dans le creux du bras de l’homme dont elle aime l’odeur. L’homme susurre une comptine à l’oreille de l’enfant qui se détend lentement. L’homme ne sait pas quoi faire et dépose doucement la tête de l’enfant sur l’oreiller. Je reviens, dit l’homme à l’enfant. Je vais chercher quelque chose. Soigner l’enfant. L’homme quitte la chambre de l’enfant pour la salle de bains où sont stockées, désordonnées, des boîtes de médicaments. Un sirop épais devrait apaiser l’enfant. L’homme aimerait bien que la femme.

7#

(Chose vue) L’homme et l’enfant la nuit. L’homme dort dans une chambre et l’enfant dans l’autre. L’enfant ne dort pas. L’enfant se réveille trempée de sueurs et de larmes mélangées et geint. L’enfant dans le noir appelle la femme. L’enfant n’aime pas le noir. L’enfant n’aime pas quand l’homme ferme la porte après que l’enfant s’est endormie. L’enfant pleure et l’homme se réveille, entend l’enfant pleurer dans la chambre à côté. L’homme aimerait dormir. Mais l’enfant appelle la femme et l’homme se vêt, ouvre la porte de la chambre et chuchote quelques mots à l’enfant. L’homme demande à l’enfant qui réclame la femme ce qu’il se passe. La femme ne viendra pas dit l’homme. L’homme dit à l’enfant qu’il est là, lui. L’homme rappelle à l’enfant que l’homme et l’enfant sont ensemble maintenant. L’homme dit qu’il ne sait pas quand la femme viendra. L’homme ne sait pas quand l’enfant verra la femme. Bientôt, surement. L’homme s’assoie sur le lit, près de l’enfant dont il caresse les cheveux. L’homme n’est pas habile. L’homme ne sait pas consoler l’enfant. L’homme susurre encore quelques mots à l’enfant et lui commande doucement de se rendormir. L’homme promet qu’il laissera la porte entr’ouverte, il laissera la lampe allumée dans le couloir. L’enfant cesse de pleurer. Le filet de lumière suffit à faire fuir les méchantes idées apportées par la nuit. L’homme embrasse l’enfant sur le front, caresse son visage, se lève. Dans l’embrasure de la porte, il souhaite une belle nuit à l’enfant.

6#

(Chose vue) L’homme et l’enfant se promènent dans le parc. L’homme se promène. L’enfant court, zigzague, s’arrête et repart dès que l’homme est à sa hauteur. L’homme et l’enfant quittent le chemin qui fait le tour complet du lac et se rapprochent de la rive. L’homme dit à l’enfant de l’attendre. L’enfant donne sa main à l’homme près de la berge. L’homme fait attention à l’enfant. Il ne faudrait pas que l’enfant tombe dans l’eau. Elle est froide, l’enfant tomberait malade. L’homme montre à l’enfant les oiseaux qui barbotent ou glissent sur l’eau grise du lac. Tu as vu ? L’enfant voit, mais pourquoi celui-là n’a-t-il pas de col vert comme les autres. Et les canards blancs. Les oiseaux blancs ne sont pas des canards mais des mouettes. L’enfant regarde les mouettes. Elles virevoltent et plongent soudain, le bec en avant. Les mouettes jouent avec leurs copains, dit l’enfant. L’homme acquiesce. Tous les oiseaux ne sont pas blancs, celui avec de grandes jambes n’est pas une mouette ni un canard. C’est un héron. Oui, un héron sans copain. Peut-être qu’il préfère être seul. L’enfant répète le mot avant de l’appeler. Héron. L’enfant voudrait bien qu’il se rapproche. L’enfant voudrait le voir de plus près. Il ne bouge pas. L’attention de l’enfant est à nouveau captée par les canards qui s’approchent. L’enfant fait un pas en arrière. L’homme veut apaiser l’enfant, L’homme embrasse l’enfant. L’homme dit ce qu’il veut, l’enfant n’est pas rassurée, l’enfant ne veut pas qu’ils s’approchent.

5#

(Chose vue) L’homme et l’enfant sont la main dans la main dans la rue et jusqu’à la porte verte du square que l’enfant pousse. L’enfant court vers l’aire de jeu. L’homme marche vers l’un des bancs verts. L’homme s’assoit. L’enfant joue. L’homme déplie un journal et l’enfant se hisse en haut du toboggan qu’elle s’apprête à dévaler. L’enfant glisse sur la piste du toboggan et le regard de l’homme sur les colonnes de la page du journal qu’il ne lit pas. L’enfant s’amuse. L’homme s’ennuie. L’enfant escalade à nouveau l’échelle adossée à la piste du toboggan. L’homme replie le journal et embrasse le square des yeux. D’abord l’enfant et les enfants qui jouent dans l’aire réservée au sol rose pâle matelassé puis il s’attarde sur les femmes et les hommes assis sur les bancs qui, comme lui, pour la plupart, surveillent sans enthousiasme leurs enfants. L’homme remarque une femme tout de noir voilée, de la tête aux pieds. Et les mains aussi. Gantées. Un bref coup de vent fait se soulever le tissu et découvre le sein nu et laiteux de la femme tout de noir voilée auquel s’agrippe la bouche d’un enfant. La femme tout de noir voilée ne recouvre pas tout de suite le sein et l’enfant. La femme tout de noir voilée ne sait pas son sein découvert. Les regards de l’homme et de la femme tout de noir voilée se croisent quand d’un geste brusque elle masque à la vue le sein et l’enfant. L’homme ne sait pas si la femme rougit mais l’enfant appelle l’homme. L’enfant veut que l’homme voit ses exploits.

4#

(Chose vue) L’homme et l’enfant. L’homme dans la chambre de l’enfant. L’homme dans la chambre qu’il préparait pour l’enfant. L’enfant ne sait pas que c’est sa chambre désormais. La nouvelle chambre de l’enfant. Elle exhale une trop forte odeur de peinture, de neuf, et l’enfant se demande pourquoi l’homme s’extasie tant devant ces murs d’un moche rose bien trop pâle. L’enfant ne pipe mot, trouve les décalcomanies à l’effigie de Mon Petit Poney (♥) ignobles. Elles se décollent par certains côtés, en plus. L’enfant elle préfère, par exemple, Lady Oscar. Hors les peintures et décorations murales l’enfant ne comprend pas les paroles de l’homme. Ici, les objets sont les mêmes que ceux dans sa chambre mais ils sont différents. Très. Brillants. Ou neufs, peut-être. En tous cas, ils ne sont pas disposés comme ils devraient l’être et la fenêtre n’est pas à sa place. Alors chacun des meubles qui remplissent la pièce n’y sont pas non plus. L’enfant demande à l’homme quand elle rentrera chez elle. L’homme sourit à l’enfant mais ne lui répond pas. L’enfant hausse les épaules et fait sauter hors de la caisse en plastique quelques-uns des jouets qu’elle étale sur le lit. Elle joue mais l’homme reste dans l’embrasure de la porte. L’homme dérange l’enfant. L’homme regarde l’enfant et l’enfant n’aime pas être observée par l’homme. L’enfant tourne la tête vers l’homme et lui demande pourquoi il reste là. L’enfant répète la question et ne comprend pas la réponse de l’homme : je te regarde jouer.

3#

(Chose vue) L’homme et l’enfant dans le supermarché. Dans la file stationnée à quelques mètres du tapis roulant qu’actionne le pied invisible de la caissière. Un à un, elle passe les codes barres devant la vitre qui abrite le rayon rouge et émet un son aigu à chaque fois que la machine reconnaît l’une ou l’autre des produits sur le tapis. L’enfant répète après la machine. L’enfant imite la machine et se fait sermonner par l’homme qui lui intime l’ordre de se taire. L’homme dit à l’enfant de ne pas imiter la machine. L’enfant se tait. L’enfant tourne autour de l’homme encombré : il tient dans une main une serviette en cuir noir et de l’autre un panier en plastique vert rempli de provisions, enfin, une sacoche en tissu synthétique en bandoulière. L’homme demande à l’enfant d’arrêter de remuer. L’enfant cesse. Elle se tient coite à la droite de l’homme. Entre l’homme et l’enfant, le panier à provisions qui ne contient rien de fameux. De la nourriture utilitaire. Pas de chocolat. Ni de pâte à tartiner. L’enfant demande à l’homme qui répond non avant que l’enfant n’ait terminé sa phrase. L’homme débute un discours pénible. Il est question de dentition, de légumes, de poids idéal. L’enfant n’écoute plus l’homme mais regarde, derrière eux, un rayon achalandé de stylos, cahiers et autre matériel de bureau. Dont une splendide petite corbeille à papier rouge sur laquelle est dessiné, en noir et blanc, un petit garçon en-dessous duquel l’enfant déchiffre l’inscription Le petit Nicolas.

2#

(Chose vue) Dans la rue l’homme et l’enfant se toisent l’un l’autre et ne marchent pas. Ni l’homme, ni l’enfant. L’enfant est les deux poings très serrés, les bras le long du corps. L’homme, les deux bras de l’homme brassent l’air de la ville. Les deux bras de l’homme font de larges mouvements circulaires. L’homme montre à l’enfant un côté de la rue puis l’autre et les voitures qui filent à toute allure. Les veines temporales mauves de l’homme grossissent à mesure que les ongles de l’enfant s’enfoncent dans ses petites paumes. L’homme gronde l’enfant. L’homme crie. La femme ne criait pas. L’homme apprend à se comporter avec l’enfant. L’homme manque de tendresse envers l’enfant qui le lui rend bien. L’enfant se renfrogne et répète qu’elle n’est pas un enfant. L’homme dit le contraire. L’homme dit à l’enfant qu’il est un enfant et qu’il est l’homme. L’enfant doit écouter l’homme. L’enfant doit faire ce que dit l’homme. L’enfant a peur et acquiesce. L’enfant ment mais l’homme ne le sait pas. Les bras de l’homme ne sont plus menaçants et les poings de l’enfant ne se desserrent pas. Les ongles s’enfoncent petit à petit dans le creux des mains de l’enfant. L’enfant sent battre le sang dans ses mains, n’ouvre pas les mains et refuse la main de l’homme qui lui tend la sienne. L’homme sourit, prononce quelques phrases apaisantes et propose encore sa main. L’enfant refuse la main de l’homme. L’homme pousse l’enfant d’un geste vif, l’homme fait vaciller l’enfant et l’oblige à marcher.

1#

(Chose vue) L’homme et l’enfant sur le quai de la gare face au train dont les portes se ferment. L’homme et l’enfant font un signe vers la femme. Ils voient leurs reflets dans la vitre du train, agitent leurs mains vers la femme. L’homme et l’enfant restent à quai et elle dans le train, peut-être elle les regarde. L’homme et l’enfant ne savent pas. L’homme et l’enfant ne voient pas la femme dans le train et l’homme et l’enfant ne savent pas quoi faire de leurs deux mains entrelacées. Depuis longtemps l’homme et l’enfant perdaient la femme. L’homme et l’enfant ne sont pas habitués d’être main dans la main. Tu viens, dit l’homme. À l’enfant qui sait n’avoir guère le choix. L’enfant laisse sa main traîner dans celle de l’homme et le suit sur le quai, dans le hall puis les escaliers mécaniques vers les souterrains métropolitains et l’autre quai ; enfin la rame dans laquelle ils s’assoient. L’un à côté de l’autre. L’enfant regarde l’homme qui regarde à travers la vitre les tunnels décorés de quelques tags. L’homme compte les néons, et ne sait toujours pas combien de tubes parcourent l’ensemble des cent-soixante-trois kilomètres métropolitains. L’enfant ne compte pas les stations et l’homme ne lui indique pas le nom de la station où ils descendront. L’homme pense que l’enfant sait. L’enfant ne sait pas. L’enfant ne connaît pas le prénom de l’homme. L’enfant fait confiance à l’homme. La femme confiait l’enfant à l’homme. La femme fait confiance à l’homme, l’enfant croit en l’homme.

#21

(Chose vue) L’enfant et la femme debout sur le long quai gris bruyant sur lequel elles sont bousculées par les passants et leurs valises. L’enfant tient fort la main de la femme. L’enfant craint d’être avalée par la foule. L’enfant ne dit rien à la femme dont le visage est fermé, les sourcils froncés et les yeux inquiets. La femme cherche quelque chose. La femme regarde un large panneau dont les inscriptions changent souvent. Les différents panneaux noirs sur lesquels sont gravés des caractères blancs roulent à toute vitesse sur eux-mêmes avant de ralentir et de s’arrêter sur des lettres qui sont des noms de villes que l’enfant ne connaît pas. Les roulements des caractères, l’enfant, si elle fermait les yeux, penserait peut-être à l’envol d’un groupe d’oiseaux. L’enfant ne ferme pas les yeux. L’enfant craint de perdre la main de la femme si elle ferme les yeux. La femme brusque l’enfant et la tire dans une direction puis une autre. La femme hésite. La femme dit à l’enfant de se presser. La femme dit à l’enfant le retard. La femme dit à l’enfant que l’homme restera avec l’enfant. L’enfant ne veut pas rester avec l’homme. L’enfant préfère être avec la femme L’enfant aime l’homme mais pense que l’homme il n’aime pas l’enfant. L’enfant ne dit pas que peut-être elle a peur de l’homme. La femme lâche la main de l’enfant. L’homme prend la main de l’enfant. L’homme et l’enfant se taisent et regardent monter dans le train la femme qui fait un salut de la main à l’homme et à l’enfant.

#20

(Chose vue) Les sirènes retentissent dans toute la ville et devant la double porte close de l’école. Elles modulent une même note qui monte et descend, et se rehausse et rechute et. Cela dure quelques minutes. La tonalité est entrecoupée par quelques secondes de silences ; et c’est comme ça tous les mois. Chaque premier mercredi de chaque mois les sonneries de l’école rivalisent mal avec les sirènes de la ville. La femme appuyée le dos contre le lampadaire regarde émerger les enfants de l’école. Les enfants hurlent et la femme cherche parmi toutes les têtes celle de l’enfant. Les enfants déferlent et se déversent, à toute vitesse, sur le trottoir si vite et si fort que le second battant de la lourde porte d’entrée en bois sombre cède sous l’épais flot d’enfants. La femme regarde les enfants se disperser vers des hommes et des femmes qu’ils embrassent ou non, desquels ils prennent ou non les mains. La femme constate le flux d’enfants se tarir. La femme remarque une hiérarchie dans ce déferlement : les petits aux cartables rectangulaires épais et lourds sont plus rapides que les grands dont les sacs à dos plus légers tiennent sur une seule épaule, la droite le plus souvent. La femme regarde l’enfant qui se dandine. L’enfant court vers la femme, les pouces à hauteur des aisselles et calés sous les bretelles du cartable. La femme est heureuse. La femme retrouve l’enfant. La femme embrasse l’enfant. La femme prend la main de l’enfant. La femme caresse la tête de l’enfant. Ça va ?

#19

(Chose vue) La femme et l’enfant sont toutes les deux assises sur le rebord du quai joliment empierré. La femme et l’enfant sont assises. Les quatre jambes de la femme et de l’enfant se balancent en cadence au-dessus de l’eau, à quelques mètres des voiliers alignés dans le port de plaisance. La femme et l’enfant écoutent les clapotis de l’eau contre le béton, les klaxons des voitures et crissements des pneus dans la rue, les claquements des pieds sur le quai. La femme et l’enfant sont le dos à la ville éclairée. L’enfant est fatiguée mais les choses à regarder ici sont belles. L’enfant ne dit pas à la femme qu’elle voudrait s’allonger, dormir. La femme regarde alternativement l’horizon et l’enfant. La femme demande à l’enfant si ça va. L’enfant répond qu’elle n’a pas froid, qu’elle est heureuse de regarder la lune comme de l’argent se refléter dans la mer d’huile noire à leurs pieds. L’enfant ne le dit pas avec ces mots. L’enfant dit : la lune brille et elle est belle dans l’eau. La femme est heureuse. L’enfant laisse divaguer son imagination. Il est très vite question de fées. L’enfant demande à la femme d’expliquer les taches sombres sur face lunaire. La femme tente quelques explications hasardeuses auxquelles l’enfant souscrit. L’enfant ne remet pas en question les choses que la femme dit. La femme dit toujours vrai. L’enfant ne sait pas que la femme peut mentir. L’enfant regarde de tous ses yeux le ciel la lune et la mer qui ondulent aux pieds de la femme et de l’enfant.

#18

(Chose vue) La femme et l’enfant marchent dans la rue en pente et pavée. La femme tient la main de l’enfant. L’enfant trébuche et glisse sur les dalles humides. La femme tient fermement l’enfant, l’empêche de choir. De son autre main, la femme tient un parapluie à l’aide duquel elle essaie, en vain, de protéger l’enfant de la pluie. L’enfant, la tête de l’enfant, disparaît sous la capuche de son parka jaune vif. L’enfant porte un vêtement d’adulte : un ciré jaune vif plus ou moins adapté à la taille de l’enfant. Les manches sont retroussées pour permettre aux deux mains de l’enfant d’émerger, tenir la main de la femme, et de l’autre main, la gauche, le cartable à roulettes bleu et rose qui brimbale derrière la femme et l’enfant. L’enfant tire le cartable. L’enfant peine. Le cartable ventru est trop lourd pour l’enfant. La femme tire l’enfant qui traîne le cartable à roulettes. La femme abaisse sa tête en direction de l’enfant et parle d’un ton sec. La femme gronde l’enfant. L’enfant ne marche pas assez vite, dit la femme. L’enfant pourrait faire un effort. La femme dit à l’enfant de se dépêcher. La femme dit qu’elle aussi elle est mouillée, qu’elle à froid. La femme dit à l’enfant que moins l’enfant marchera vite plus la femme et l’enfant seront mouillées et la femme en colère contre l’enfant. L’enfant pleure. L’enfant crie à la femme. L’enfant n’y est pour rien s’il pleut, si les roulettes du cartable ne sont d’aucune efficacité sur les pavés mouillés de cette rue en pente.

#17

(Chose vue) La femme est un panier en plastique dans une main et celle de l’enfant dans l’autre. Les produits sur la liste de courses sont dans la corbeille. La femme et l’enfant patientent devant la caisse dont le tapis roulant noir est à peine à deux mètres, trois autres panières vertes et remplies. L’enfant s’impatiente et la femme se dit que, décidément, choisir la bonne file. L’enfant trépigne et la femme s’impatiente. La femme n’aime pas l’enfant quand l’enfant joue trop l’enfant. L’enfant sautille, presse la femme de questions sur le temps à attendre. La femme ne répond pas aux questions de l’enfant. L’attention de l’enfant est détournée par les magazines colorés étalés sur le présentoir en plastique blanc, juste au-dessus des sucreries diverses dont toutes les vertus revendiquées sont imprimées sur les paquetages colorés. La femme transvase enfin les différents produits du panier vert, qu’elle encastrera ensuite dans la pile déjà constituée devant elle, au tapis roulant noir actionné par le caissier. Elle les rangera ensuite dans des sacs en plastique blanc et épais, et garde un œil sur l’enfant agitée. La femme regarde le ticket et lit. Mag : 2971 Term 0007 Op : 10012 Tick : 88136 le 17/04/08 À 19:55 Ce ticket vaut bon de garantie. À conserver. Du 11 au 22 mars 2008 dans votre supermarché le grand jeu roll over (1 euro = 6.55957) Merci de votre confiance. À bientôt. Les Mousquetaires. La femme empoche le ticket et prend la main de l’enfant avant de traverser la rue.